Romanica Olomucensia 2022, 34(1):145-160 | DOI: 10.5507/ro.2022.010
Kitsch et désir d'éternité dans L'Insoutenable Légèreté de l'être et L'Immortalité de Milan Kundera
- Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, Morocco
Cette contribution analyse la notion du kitsch dans L'Insoutenable Légèreté de l'être et L'Immortalité de Milan Kundera. Dans l'imaginaire de cet auteur, le kitsch est une négation absolue de la merde et un oubli de la réalité. Il s'agit d'une façon de cacher les misères de l'existence par l'instrument de ce que Kundera appelle un « voile rose ». Le kitsch, comme nostalgie du paradis perdu, est un « désir d'éternité » : il permet à l'homme de sublimer sa vie et de la rendre supportable. L'homme recherche ainsi une immortalité profane qui l'inscrit dans l'Histoire, comme l'illustre le personnage de L'Immortalité, Bettina von Arnim. Ainsi peut-on associer le kitsch au désir d'éternité. Outre cela, le kitsch est un refus de la complexité propre à l'existence. Dans ce sens, l'homme-kitsch tend à simplifier cette complexité et la transformer en des images stéréotypiques dans le but d'atteindre l'harmonie ou ce que l'auteur nomme l'idylle. C'est une forme d'utopie qui se nourrit en particulier d'idéaux abstraits et de sentiments qui se veulent absolus. Le kitsch est pareillement une dévastation de l'individu, lequel se dissout dans les sentiments lyriques du public et dans l'illusion de la perfection et de l'idylle, c'est-à-dire de l'harmonie. Dans l'œuvre de Kundera apparaissent deux catégories de personnages. La première catégorie concerne les personnages qui sont inconscients de leur kitsch et qui refusent souvent la merde. La seconde catégorie, qu'on peut qualifier de personnages « anti-kitsch », désigne ceux qui sont conscients de leur kitsch et acceptent leur nature imparfaite. Dans L'Insoutenable Légèreté de l'être, l'homme-kitsch désire être parfait, à l'image de Dieu, raison pour laquelle le narrateur de la « Grande Marche » associe le kitsch au thème de la totalité comme mur qui dissimule la faiblesse et la mort. En effet, le beau mensonge propre à ce que Kundera appelle l'homo sentimentalis et l'homme imagologique prend la place de la relativité et de l'idéologie. Dans L'Immortalité, Laura et Bettina incarnent amplement le concept de l'homo sentimentalis puisqu'elles érigent leurs sentiments en valeur absolue. Le kitsch s'avère ainsi un désir d'éternité ; il fait partie de la condition humaine et personne ne peut y échapper.
Mots clés: : kitsch ; nostalgie ; désir d'éternité ; imagologie ; beauté ; merde
Kitsch and the desire for eternity in Milan Kundera's The Unbearable Lightness of Being and Immortality
This contribution analyses the notion of kitsch in Milan Kundera's The Unbearable Lightness of Being and Immortality through an examination of the characters and the essayistic chapters of the novels and entitled "The Great March" and "homo sentimentalis", respectively. According to Kundera, kitsch is a denial of shit, a way of forgetting reality and hiding the wretchedness of existence behind what he calls a "rosy veil". Kitsch, like nostalgia for the lost paradise, is a "desire for eternity": it allows people to sublimate their lives and to make them bearable. Humans thus seek a profane immortality which inscribes them in history, as exemplified by the character of Kendra's Immortality, Bettina von Arnim. Moreover, kitsch is a rejection of the complexity proper to existence. In this sense, the kitsch-man tends to simplify the complexity of existence by turning it into stereotypical images. It is a form of utopia that draws on abstract ideals and feelings that are supposedly absolute. In response to the development of kitsch, in his novels Kundera cultivates the art of ambiguity. That serves to rehabilitate individual autonomy. Kitsch annihilates the individual, who gets dissolved in the lyrical feelings of the public and in the illusion of perfection. The kitsch-man desires to be perfect, in the image of God. From this point of view, the narrator of "The Great March" associates kitsch with the theme of totalitarianism as a wall that conceals weakness and death. In other words, kitsch denies the world of death and excrement. Indeed, the beautiful lie proper to what Kundera calls "homo sentimentalis" and the "imagological man" replaces relativity and truth. In Immortality, Laura and Bettina embody the concept of homo sentimentalis, as they set up their feelings as an absolute value. In this case, kitsch, as a beautiful dream, is part of the human condition and no one can escape it.
Keywords: kitsch; nostalgia; eternity; imagology; beauty; shit
Published: June 30, 2022 Show citation
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